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Le caractère sacré des cours d'eaux en Île-de-France

Dernière mise à jour : 25 sept. 2020

Des noms de cours d'eau témoignent de leur caractère sacré

La déesse Sequana (Seine) sur une nef à tête d'ânette (cane)

La SEINE :


C'est au milieu du siècle dernier que des fouilles furent entreprises aux sources de la Seine, en un lieu où des pèlerins venaient, depuis un temps immémorial, solliciter la guérison de leurs maux. On y découvrit un temple gallo-romain construit sur un sanctuaire gaulois et dédié à Dea Sequana, la déesse qui a donné son nom à la Seine.

Plus tard, en 1932 était mise au jour une magnifique statue en bronze de la Dea Sequana sur sa barque, avec une tête d'oie badant du bec à la proue. Par ailleurs, un grand nombre d'ex voto ont été recueillis en cet endroit, attestant l'importance du culte rendu à ces sources sacrées et au fleuve que personnifiait la déesse.[1]


Il n'est pas indifférent d'ajouter que Voltaire dans son "Discours philosophique" attribuait la naissance de la Seine au grand modeleur des paysages qu'était Gargantua. Ce bon géant a en effet mené une vie populaire attestée sur tout le territoire français par la légende et la toponymie avant d’être immortalisé par Rabelais. C’est ainsi qu’il creusa par exemple, le lit de l'Orvanne (affluent du Loing) et celui du Lunain (autre affluent du Loing), ainsi que l'étang de Moret (Seine-et-Marne). L'imagination populaire a expliqué de cette façon la création de nombreux cours d'eau et de buttes comme résultant des besoins naturels du bon géant de la mythologie française. Le Petit Morin, qui prend sa source dans les marais de Saint-Gond, hors des limites de la région, a une telle origine mythique [2].


La MARNE : La Marne avait aussi un sanctuaire à sa source, à Balesmes (Haute-Marne). On reconnaît dans le nom, Matrona, les Matres ou Matronae, c'est-àdire celui des bonnes déesses ou nymphes gauloises qui présidaient souvent aux sources et qui étaient apparentées à la Terre-Mère. Une statuette de déesse-mère a d'ailleurs été trouvée à Meaux (et une autre à Langres). Elle représente une femme assise vêtue d'une longue robe serrée en dessous des seins et d'un manteau et tenant des fruits dans son giron[3].


L'OISE : Cette rivière a la même origine que l'Isère, ("Isara" chez César et Lucain, "Esera" en 842). Il y aurait selon Dottin un radical celtique "isar" signifiant "sacré", et plus précisément : "inspiré, saint, (littéralement "rempli de force").


L'YONNE. Des dédicaces à Dea Icauna ont été recueillies le long de la rivière, dont le nom dérive de celui de la déesse gauloise Icauna et qui devait la personnifier.

La forme ancienne du nom de l'ESSONNE est "fluvium Issonam". Certains ont voulu y voir le nom de la déesse Isis, mais la forme "Exona", VI ème siècle l'assimile à l'Aisne, ("Axona" chez César), toutes deux rivières d'une déesse "Ax-" ou "Ix-" et suffixe –ona, à caractère aquatique).


La JUINE : ("fluvium Iona", en 635). Son cours est jalonné de lieux de cultes antiques. Une statue en cuivre jaune d'un personnage accroupi portant un torque au cou, fut extraite du lit de la rivière au siècle dernier, à Bouray-sur-Juine. Ce pourrait être une représentation du grand dieu gaulois Esus / Cernunnos, datant vraisemblablement du premier siècle de notre ère [4].


Le ruisseau du DRAGON, affluent de la Voulzie, en Seine-et-Marne, contribue de nos jours à l'alimentation en eau de la ville de Paris. Son nom est indissociable des anciennes croyances qui avaient cours en certains lieux de la région en relation avec les aléas de l'eau. (Voir ci-dessous le § 3 consacré aux saints « sauroctones », vainqueurs de dragons). Un saint familier des eaux, Saint Loup, donna son nom au ru de St-Loup qui engendre celui du Dragon et à une des fontaines sacrées de ce site déprimé, occupé par des marais et qui se nommait Naudus (en 980), d’où provient l’actuel St-Loup-deNaud.. Une source sacrée, une Pierre aux Fées et un Ru du Dragon, dans un site au nom d’origine gauloise marqué par la présence de l’eau, constitue un ensemble mythologique important.


La TRACONNE, affluent de la Seine, en Seine-et-Marne, présente aussi le "radical préceltique "drac- / drag-" dans sa variante "trac-" signifiant serpent, dragon (forme sourde du degré zéro de la racine indo-européenne *dar, dor)" [5].


L'AUBETIN est un ru de Seine-et-Marne dont le nom a pour racine "alb-", c'est-à-dire communément la blancheur, sauf qu'elle exprimait aussi chez les Celtes l'idée de sainteté et de monde, (cf Albiorix = le roi du monde); ce que confirme, comme on le verra plus loin, l'abondance des sources encore révérées à l'époque moderne le long de son cours.


L'OPTON, (graphie phonétique pour Aubeton [6]) est un cours d'eau d'Eure-et-Loir, affluent de la Vesgre, qui prend sa source dans les Yvelines et qui a la même origine, de même que les deux AUBETTE, l'une affluent de l'Epte et l'autre de la Seine.


Le ru de MERANNE : Cet affluent de l'Ourcq aurait une origine toponymique intéressante selon P.Lebel [7]. Ce serait un ancien "matr-ana", du gaulois "matra" = déesse-mère et suffixe "ana", indiquant une rivière divinisée.


LE LOING :La forme ancienne "Lupa" = louve qui évoque un animal mythique, serait selon les hydronymistes [8] une mauvaise latinisation par attraction de "lupus" = loup en latin, de la racine hydronymique préceltique *low- ou du thème celtique lôba / lôwa / lupa = eau, ruisseau.


Le ru d'ORGUEIL est un affluent de la Guyonne. Sa forme ancienne serait " *Orgoialum" et signifierait "la clairière d'Orgos". Orgos était une divinité gauloise, le souverain de l'autre-monde, parent du dieu des Enfers Orcus, qui donnait et prenait la vie en dévorant et a, de ce fait, donné l'Ogre du légendaire français[9].


La rivière de NEMOURS : Nemours doit son nom à ses fontaines consacrées par les Celtes à la déité Nemausus, comme Nîmes, "du gaulois "nem- = sacré (Cf nemeton, sanctuaire) et suffixe gaulois -ausum, appliqué à la source et à sa divinité."[10]


Le nom de la source qui a donné CACHAN serait un hydronyme d'origine celtique, dérivant de Caticantus, sans que l'on sache bien s'il s'agit d'un nom de divinité[11] . Les eaux captées dans la Fontaine-Couverte servirent à l'alimentation de Paris. A noter que d'autres sources curatives pour les maux de gorge existaient à Cachan, le long de la Bièvre, dont l'eau servait aussi pour les maux d'yeux[12].


Le ru de SEVRES à qui l'on doit le val du même nom, est à rapprocher de la fontaine de Saint-Germain située dans l'église de Sèvres. Cette ancienne source sacrée pourrait aussi bien que le ruisseau, être à l'origine du nom de Sèvres (Savara)[13].


Michel Roblin signale que la haute vallée du Croult était consacrée à la divinité dont LOUVRES (Val-d'Oise) tire son nom, Lupera qui fut le lieu du martyre de Saint Justin [14]. Les Actes de Saint Rieul mentionnent que le saint allant de Paris à Senlis, s'arrêta à Louvres et entra dans un temple de Mercure dont il renversa l'idole, gagnant au christianisme la plupart des païens du lieu [15].


NIGEON était le nom d'un hameau proche de Chaillot, à Paris, dont la forme ancienne "Nimione" proviendrait du nom d'une source sacrée qui naissait au flanc de la colline. Le radical "nim-" est une variante du radical "nem-" déjà vu ci-dessus, exprimant ce caractère sacré [16] .


DEUIL doit son nom à une source divinisée qui alimentait un étang sacré, comme il sera vu ci-dessous (§ 9). Sa forme ancienne "Divoialum" contient le radical celtique et latin "div-" exprimant l'idée de sacré.


CHARONNE est le nom d'une source et d'un lieu de culte gaulois à Catarona qui fut remplacé par celui de Saint Germain d'Auxerre.


A Bièvres, la source de la SEGREE porte dans son nom, son caractère sacré = "sacrata", comme de nombreuses fontaines ou fonts "secrètes" en France.


La rivière de la DHUIS ainsi que le ru de DHUISY pourraient tirer leur nom du gaulois "dusios", démon, c'est-à-dire une force naturelle divinisée, comme le Dhuis du Loiret, selon Soyer[17].


Le ru de la GARGOUILLE, affluent de la Viosne, contient en son nom "la racine "garg-", "avaler" à l'origine des noms Gargan, Gurguntius et Gargantua. Ce serait un indice probable de croyances à un dragon avaleur à la source"[18]. Ce nom était celui donné au dragon vaincu par Saint Romain à Rouen. (Voir ci-dessous § 3). A Louveciennes, le lavoir était alimenté par la source de la Gargouille.


La THEROUANNE est un affluent de la Marne. Son nom a été rattaché au gaulois "tarvos", "taureau"[19]. Cet animal, fréquemment divinisé pourrait personnifier le cours d'eau ? Il était représenté sur le pilier des Nautes à Paris avec trois grues sur son dos, une inscription portant "Tarvos Trigaranus". (Voir § 2 ci-dessous).

Ces quelques exemples montrent que derrière les noms modernes des cours d'eau, il se cache souvent, soit un nom de divinité, soit l'affirmation de son caractère sacré.

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- 1 Des noms de cours d'eau et de sources témoignant de leur caractère sacré.

- 2 Le pilier des Nautes Parisiaques : vestige archéologique d'un culte des bateliers-marchands et sa succession chrétienne.

- 3 Les zones inondables et les saints vainqueurs de dragons (dits « sauroctones »), ou la personnification de l'eau terrifiante.

- 4 Les saints et saintes qui portent leurs têtes (dits « céphalophores »), vers des fontaines sacrées.

- 5 Le symbolisme de la traversée des eaux (gués, bacs et ponts) par les passeurs mythiques vers l'au-delà.

- 6 Les îles et confluents en tant que lieux sacrés.

- 7 Les saints et saintes « météorologiques », régulateurs du climat.

- 8 Les êtres mythiques, habitants et gardiens des puits et les puits sacrés.

- 9 Les eaux qui guérissent.

- 10 Les lavoirs et lavandières suspects de paganisme.


_____ NOTES----

[1] 3 VASSAL (Pierre) : "Le pèlerinage aux sources de la Seine chez les Gaulois, les ex-voto médicaux du musée de Dijon". in Société d'ethnographie de Paris, 1960, pp. 110 - 128.

[2] 4 DONTENVILLE (Henri) : "La France mythologique", Henri Veyrier, Paris, 1980, 390 p. réédition de l'édition de 1966.

[3] 5 TOUSSAINT (Maurice) : "Répertoire archéologique de Seine-et-Marne", Picard, Paris.

[4] 6 ROBLIN (Michel) : "Le terroir de Paris aux époques gallo-romaine et franque. Peuplement et défrichement dans la civitas des Parisii. (Seine, Seine-et-Oise)". Paris, Ed. A. et J. Picard, 1971, 491 p.

[5] DAVID (Christian) : "Les noms de cours d'eau de la Région d'Île-de-France", IAURIF, Paris, 1995.

[6] 8 DAVID (Christian) : op. cit.

[7] LEBEL (Paul) : "Principes et méthodes d'hydronymie française". Publications de l'Université de Dijon, XIII, Société des Belles Lettres, Paris,1956, 392 p.

[8] DAUZAT (Albert), DESLANDES (G.) et ROSTAING : "Dictionnaire étymologique des noms de rivières et de montagnes en France", Klincksieck, Paris, 1978,

[9] 11 DAVID (Christian) : op. cit.

[10] 12 DAVID (Christian) : op. cit.

[11] 13 ROBLIN (Michel) : "Le terroir de Paris ..", op. cit.

[12] 14 BOUSSEL (Patrick) : "Guide de l'Ile-de-France mystérieuse". Les Guides Noirs, Tchou Ed. Paris, 1969

[13] 15 ROBLIN (Michel) : "Le terroir de Paris...", op. cit.

[14] 16 ROBLIN (Michel) : "Le terroir...", op. cit.

[15] 17 DULAURE (Jacques-Antoine) : "Histoire physique, civile et morale des environs de Paris", 8 tomes, 1825- 1828.

[16] 18 ROBLIN (Michel) : "Le terroir de Paris ..", op. cit.

[17] 19 DAVID (Christian) : op. cit

[18] 20 DAVID (Christian) : op. cit.

[19] 21 DAVID (Christian) : op. cit.

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