L'eau symbolique et sacrée en Île-de-France
- Raymond Delavigne (GIDFMF)
- 2 oct. 2019
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 19 nov. 2020

Aperçu sur un patrimoine légendaire méconnu : des déesses et des dieux, des saintes et des saints, des géants et des nains, des dragons et des fées…
L'exemple de l’eau symbolique et sacrée en Île-de-France.
Les légendes, contrairement aux contes s’accrochent aux terroirs. Elles sont bien localisées, même si des thèmes comparables se retrouvent dans des sites différents. Leurs contextes géographique, historique, toponymique constituent autant de témoignages de l’existence passée des hommes, de leurs faits et gestes, de leurs aventures, de leurs craintes et de leurs croyances.
Mais ces témoignages sont menacés de mort à très court terme par les changements rapides intervenus dans notre société, et dus à l’industrialisation, l’urbanisation, la mutation des campagnes.
Déjà en 1950, l’historien Lucien Fèvre, déclarait, à propos de l’auteur de l’ouvrage fondateur « Mythologie française ». « En tout cas, le mérite de Henri Dontenville sera d’avoir posé ces problèmes et bien d’autres, en attirant l’attention sur ce qu’il y a d’insuffisant dans notre savoir (et dans nos moyens de savoir) sur ces questions obscures et compliquées »[1].
Des manifestations de croyances fort anciennes portent sur des cultes impliquant des pierres mégalithiques, des grottes, des buttes, des fontaines à dévotions, des arbres… Ces cultes hérités du paganisme ont le plus souvent été assimilés par le christianisme, y compris dans ses sites, ses pratiques et ses légendes, notamment à travers les vies de saints, locaux ou universels (St Pierre, St Martin, St Denis, St Marcel, Ste Geneviève…. A cela s’ajoute un bestiaire fantastique (dragons, vouivres, cocatrix …) ou réel (cheval, bœuf, âne, coq, serpent, crapaud, grenouille…) et aussi les manifestations des êtres de l’au-delà (fées, nains, revenants,….).
Afin d’illustrer le sens général de cette quête patrimoniale, l’exemple du caractère symbolique et sacré du thème de l’eau en Île-de-France est développé ici, sachant que la même démarche serait applicable à toute la thématique beaucoup plus large évoquée ci-dessus.
L'eau est un élément indispensable à la vie, au même titre que l'air, le feu ou la terre source de la nourriture ; elle est ainsi depuis toujours chargée d'une puissance symbolique extraordinaire qui renvoie à un fonds mythique universel, c'est-à-dire aux origines mêmes du monde (l'océan primordial et le déluge) et à celles de l'homme (la matrice).
Notre société technicisée est cependant encore loin d'avoir effacé toutes traces d'irrationnel dans l'environnement et les mentalités contemporaines.
Elles perdurent encore inconsciemment dans les réalités quotidiennes, comme par exemple, les noms de cours d'eau (l'hydronymie) ou les croyances et rêveries du légendaire local et l'hagionymie (les noms de saints). Il s'agit là d'un véritable patrimoine culturel, qu'une simple collection de faits "ethnologiques" ne saurait saisir en entier. La collaboration de l’histoire, de l’archéologie et de la toponymie s’avère nécessaire. En effet, même s’il venait à être oublié, certaines traces matérielles de ce patrimoine persisteraient encore dans les églises et leurs saints patronages, l'architecture vernaculaire et le décor des fontaines, chapelles et oratoires, voire des lavoirs, puits, ponts et gués des villes et campagnes francilliennes.
Dans cet article on considère les supports géographiques réels de différentes traditions et croyances dont les mythes constituent une expression imagée en relation avec l'histoire et l’archéologie. L'ensemble s'organise en un système patrimonial qui est le résultat d'un long cheminement. Il se doit d'être reconnu pour être ensuite mieux valorisé, ne serait-ce par exemple, que pour "donner du sens" à certains aménagements modernes, comme la lutte multiséculaire contre les inondations ou la protection des paysages et plus prosaïquement, celle par exemple, mal assurée encore, des captages A.E.P.[2] ! En effet, l'eau pose à l'homme un grand nombre de problèmes d'organisation et de gestion qu'il s'efforce de résoudre et cependant elle le renvoie inexorablement à des comportements qui procèdent de l'irrationnel, de la croyance et de l'imaginaire et qu'il ne peut ignorer. Seront successivement examinés :
- 2 Le pilier des Nautes Parisiaques : vestige archéologique d'un culte des bateliers-marchands et sa succession chrétienne.
- 3 Les zones inondables et les saints vainqueurs de dragons (dits « sauroctones »), ou la personnification de l'eau terrifiante.
- 4 Les saints et saintes qui portent leurs têtes (dits « céphalophores »), vers des fontaines sacrées.
- 5 Le symbolisme de la traversée des eaux (gués, bacs et ponts) par les passeurs mythiques vers l'au-delà.
- 6 Les îles et confluents en tant que lieux sacrés.
- 7 Les saints et saintes « météorologiques », régulateurs du climat.
- 8 Les êtres mythiques, habitants et gardiens des puits et les puits sacrés.
- 9 Les eaux qui guérissent.
- 10 Les lavoirs et lavandières suspects de paganisme.
Ce faisant, il est certain que cette énumération n'épuise pas tous les aspects qui auraient pu être étudiés. Par exemple, les cultes de Saint Martin et de la Vierge sont très significatifs et ils auraient mérités un examen particulier.
De même, des inventaires cartographiques précis seraient aussi nécessaires. Cela reste à faire, sous forme d’atlas à caractère mythologique [3].
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[1] In « Annales, Economies, Sociétés, Civilisations », 1950, p. 376. L’ouvrage fondateur « Mythologie Française », paru en 1947 chez Payot, a été réédité en 1998, dans la collection Petite Bibliothèque Payot et précédé d’un prologue substantiel de Bernard Sergent, l’actuel président de la Société de Mythologie Française, qu’avait fondée l’inspecteur de l’Education Nationale Henri Dontenville, et dont le siège est à Paris, 13 rue St-Laurent, XI ème.
[2] A.E.P. = Adduction d'Eau Potable.
[3] La "Commission Atlas", mandatée par la Société de Mythologie Française élabore depuis 1998 un Atlas des motifs légendaires de France, région par région. Ont déjà été publiés : le Val d'Oise, l'Oise, la Somme, la Bourgogne...
[2] A.E.P. = Adduction d'Eau Potable.
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