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Légendes et paysage ou le mythe comme processus d’investissement de l’espace

Dernière mise à jour : 25 sept. 2020

Légendes et paysage par Henri Fromage, éd. Groupe-Île-de-France de Mythologie Française

Mon propos est de montrer quels rapports existent entre ce qu’on appelle un paysage et une légende.

Qu’est-ce qu’un paysage ? C’est la perception qu’on a d’une partie de l’environnement naturel ou artificiel, géographique ou plutôt microgéographique. Qui dit perception, dit opération de l’esprit pour coordonner, structurer un ensemble de sensations. Il n’y a pas de paysage sans l’homme pour le « percevoir » et corrélativement, il existe autant de paysages que d’hommes pour le percevoir.


La perception se fait à travers de véritables grilles. Le nouveau venu a d’abord une vision confuse, incohérente, voire absurde du milieu dans lequel la circonstance le projette ; puis il y met son ordre, son organisation.


- Le chasseur de gibier perçoit les conditions cynégétiques d u site : repaires probables du gibier, lieux de passage des animaux, terrains découverts, haies ou fourrés propres à l’affut etc.


- Le cultivateur inventorie les terres sèches ou humides, les herbages, les guérets, les points d’eau, les chemins pour le matériel agricole.


- Le spécialiste de la géographie humaine constate l’importance, la répartition, l’âge du bâti, la distribution des hameaux, villages, bourgs.


- Même expertise très spécialisée du militaire, de l’entrepreneur de travaux publics, du géologue, et, à la limite, du géographe qui se satisfait d’abord des aspects du relief et des cours d’eau.


Et l’homme qui pratique le mythe ? Le mythopoête ? Il est thaumaturge à sa façon : il voit le site à travers la grille du mythe. Il a une vision mythoscopique du paysage : non seulement la saisie des lieux se fait à travers la grille d’un mythe, mais en outre, cette démarche est génératrice d’un foisonnement d’effets qui peuplent et animent le paysage constitué.


La première constatation à faire c’est que toute légende, tout conte, toute histoire surnaturelle se déroulent dans un paysage.


Il y a différents registres du discours mythique :


Les légendes folkloriques, celles qu’on raconte dans les campagnes, et même dans les villes. Par exemple les légendes du Loir-et-Cher, au hasard : Motif du château englouti (Loreux, arrondissement de Romorantin) : « Au lieu-dit Bréviande – qui dépend de la Pinauderie, ferme située sur la route du Sous-Préfet, derrière la faille qui borde le lieu : nombreux vestiges de constructions et fossés, témoins d’un château soudainement englouti parce que le châtelain, furieux de ne pas avoir été attendu par le curé pour commencer la messe, le tua d’un coup de pistolet devant l’autel ».


- La légende dorée : En Bretagne au Mont Dol, Saint Michel et Satan s’affrontèrent. Tout à côté du sanctuaire, au haut du mont, se dressent des rochers : les fentes et les excavations, sont les traces de la lutte. On montre les griffes du démon, son siège, le trou du diable où le saint précipita son ennemi. Plus loin, au bord d’un à pic, le pied de Saint Michel d’où le saint s’élança pour se poser sur le Mont St-Michel.


- Les légendes seigneuriales. Dans l’histoire de Mélusine, on a la forêt de Colombiers où la fée rencontra Raymondin , la font de Cé où Mélusine s’ébattait avec ses sœurs, et la colline promontoire où la fée construisit pour Raymondin le château de Lusignan.


- Les contes populaires : paraissent parfois moins attachés à un site précis. Où se déroule l’histoire du Petit Poucet ou celle de la Belle au Bois dormant ? Les données paysagères sont là anonymes et comme abstraites : une forêt, la montagne, un château. Mais souvent dans le cas de versions recueillies de la bouche de conteurs locaux, les lieux essentiels du conte sont situés dans la commune ou l’arrondissement.


Prenons par exemple Les contes populaires du Dauphiné recueillis de 1951 à 1955 par Charles Joisten : L’histoire de Nanette et l’Ours, (prélude au conte de Jean de l’Ours), est localisée exactement à Arvieux dans les rochers des Gleigeaces.

Un récit du conte du Roi des Poissons est localisé dans le village de Lachaup sur les bords de la rivière la Séveraise où vit le Roi des Poissons. Une version de Jean de l’Ours intitulée l’Homme Fort, se passe dans la commune de Chabottes (Hautes-Alpes), au lieu-dit La Plaine de Chabottes, et en un autre endroit appelé Saint-Bonnet.

Une histoire du Petit Chaperon Rouge, se déroule en Isère, à Villard Réculas, au lieu-dit Les Essarts.


Donc il est vrai que contes et légendes sont en règle très générale attachés à des sites précis.


Il est évident en outre, qu’un site à légendes n’est pas quelconque. Ainsi il existe dans l’Oise un mont Ganelon. On conte que Ganelon avait la-haut son château. C’était un homme sourcilleux et jaloux. IOl crut que sa femme l’avait trompé. Il la fit enfermer d’un tonneau hérissé à l’intérieur de lames de couteaux et précipita le tonneau du haut de la colline. Arrivé au bas de la côte, le tonneau se brisa et la dame en sortit indemne. Il est certain qu’une telle aventure suppose une colline à pente abrupte, et au haut de la colline des vestiges suggestifs : en l’occurrence il s’agit du fortin terminal d’un éperon barré des 3ème ou 4ème millénaires av. J.C..


Cette convenance entre la légende et le site est souvent si étroite qu’on peut se demander si la légende s’est accrochée au site à cause de la capacité du site à l’accueillir ou bien si les aspects du site ont fait naître la légende.


En fait il est probable que les deux processus se soient conjugués sans qu’il soit possible de dire lequel a précédé l’autre.


Si le site existe évidemment préalablement à l’homme, en revanche sans l’homme il n’exprimerait jamais telle ou telle légende. La légende est par une mentalité mythopoétique, la lecture d’un site, une leçon sur la façon dont il faut lire le site. Legendus, -a, -um : « qui doit être lu ».



La légende est emprise du site, saisine de la microgéographie , investissement de l’espace, ; en outre elle impose une signification humaine et surhumaine de l’espace.

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Ce texte de Monsieur Henri Fromage, Vice-président de la SMF de 1966 à 1981 et Président de ladite Société de 1981 à 1992, est l’introduction de la conférence qu’il a donné à l’Ecole Nationale Supérieure de la rue d’Ulm.

Ce texte capital sur le thème de l’investissement du paysage par les mythes est resté inédit.

En 2003, Le Groupe Île-de-France de Mythologie Française (GIDFMF) a publié, en auteur-éditeur, le texte intégral de cette conférence, accompagné de tableaux graphiques, et de onze illustrations de la main de l’auteur.

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Cet article est paru sur " La Lettre d'Ile-de-France" N°41 de mars 2002, qui est la revue trimestrielle (16 pages) du Groupe Ile-de-France de Mythologie Française ( GIDFMF )


Le livre "Légende et paysage" de monsieur Henri Fromage est édité par Le Groupe Île-de-France de Mythologie Française.

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